avoir la main sur le coeur.

C’est une soirée comme une autre. Enfin presque. Disons que ce soir, tu dois imposer à tes parents, une nouvelle présence, qui sera certainement quotidienne. Ce soir, tu ramènes un pote, enfin, plutôt une connaissance. Zero. Ce mec qui dort dehors. Ce mec que tu as rencontré à une soirée. Ce mec qui est l’ami d’un ami. Toi, trop généreuse, tu n’as pas réussi à fermer les yeux sur ses conditions de vie, alors tout naturellement, tu t’es proposé de l’héberger. Il a accepté. Tu sais que quand tu iras chez ton père, tu pourras naturellement lui parler du fait que c’est un pote qui dort sous les ponts. Il l’acceptera volontiers. Alors que ton beau-père est tellement porté sur la tune, que tu vas être obligé de mentir à celui-ci et ta mère, en le faisant passer pour ton petit-ami.

Scénario mis en place. Il est vingt heures. Vous arrivez ensemble, chez tes parents. « Salut m’man ! » Tu t’avances avec Zero dans la cuisine où ta mère prépare le dîner. « Je te présente Zero, ça te dérange pas s’il dort à la maison quelque temps ? » Tu prends la main de Zero dans la tienne, pour faire comprendre à ta mère que ce n’est pas qu’un simple ami et que tu n’as pas envie de débattre sur sa situation plus longtemps. « Euh, non, pas de problème. Il faudra quand même que tu en parles à Joshua quand il rentrera de son voyage d’affaires. Vous avez dîné ? » Ta mère vous fait comprendre que le dîner est prêt et que vous allez pouvoir vous installez. « Non, on revient, je vais lui faire visiter la maison. » Le temps que ta mère finisse le dîner, tu montes à l’étage avec Zero et lui montre ta chambre. « Voilà ta nouvelle demeure ! »

des rencontres, t’en fais tous les jours, gamin
rare sont ceux qui restent dans ta vie, cependant
t’es difficilement approchable et, quand on parvient à t’amadouer, tu finis toujours par piquer une crise existentielle qui t’fait perdre l’peu d’crédibilité qu’t’as
mais y a des gens avec qui ça coule bien
et c’est l’cas d’xena, une pote d’un pote sur laquelle t’es tombé lors d’une soirée
avec elle, c’est léger
et p’t’être bien qu’elle t’prend un peu en pitié, la rouquine
qu’est-ce qu’t’en as à foutre, t’façon ?
lorsqu’elle t’a proposé d’t’héberger, t’as aussitôt accepté
mais t’ignorais jusque là qu’elle nichait dans un putain d’château, la princesse

« salut m’man ! je te présente zero, ça te dérange pas s’il dort à la maison quelque temps
– bonsoir »

tu murmures, à peine audible, tirant sur le bord d’ton sweat-shirt pour tenter de l’défroisser
un peu ébranlé par l’immensité d’la baraque d’ta nouvelle amie et honteux d’tes fringues légèrement crasses qui s’agencent mal au décor
t’es pas l’genre de type à t’en faire pour si peu – en général
disons seulement qu’xena est ton dernier espoir d’pouvoir rester à l’abris du mauvais temps, l’seul inconvénient lorsqu’on crèche dans la rue comme toi
du coup, t’essaies d’bien paraître, zero – enfin, un minimum
tu t’tiens droit, les épaules redressées qui donnent l’impression qu’tu possèdes une quelconque fierté
la vérité, c’est qu’t’es à deux doigts d’flancher
et c’est l’contact – aussi bref soit-il – d’xena qui t’empêche d’t’affaler sur l’parquet comme une putain d’victime
maquillé d’ton plus beau sourire, celui qu’t’adresses à la rousse avant d’hypocritement l’braquer sous l’nez d’sa daronne

« euh, non, pas de problème. il faudra quand même que tu en parles à joshua quand il rentrera de son voyage d’affaires. vous avez dîné ?
– non, on revient, je vais lui faire visiter la maison »

elle t’entraîne aussitôt à l’étage et tu la suis sagement, comme une poupée d’chiffon qu’elle trimbalerait derrière elle
et tu t’laisses dominer comme un sale clébard jusqu’à sa chambre, les sourcils qui s’haussent machinalement pour illustrer ta surprise

« voilà ta nouvelle demeure
– whoa ! j’croyais qu’c’était qu’dans les films qu’on pouvait voir c’genre de piaule »

t’as pas l’habitude d’squatter dans des villas
tu t’contentes de peu
les appartements minables jusqu’aux vieilles bicoques désuètes où les matelas sont aussi confortables qu’un plancher d’bois
les taudis, tu connais, zero
et c’est sans parler d’la rue, où t’as rien d’autre qu’un putain d’banc d’parc pour pioncer
alors t’observes attentivement chaque objets qui ornent la chambre d’la rousse, comme pour incruster c’t’image dans un coin d’ta mémoire
et tu fais volte-face dans sa direction, maigre sourire qui t’pend aux lèvres

– ta mère semble, eh… gentille, ouais

pas doué avec les compliments
ni les remerciements d’ailleurs, elle devra s’en passer – du moins, pour le moment
et tu poursuis ta p’tite visite improvisée
tu butes sur chaque détail tentant d’étudier la valeur totale d’cette pièce à elle seule

– et joshua, c’ton beau-père j’imagine ?

@xena caplan.

T’es généreuse, t'a la main sur le cœur. T’es le genre de gamine à offrir un sandwich au SDF du coin, qui squatte devant le supermarché, à la quête d’un seul regard de compassion. T’es le genre de nana prête à partir à l’autre bout du monde, rien que pour faire un voyage humanitaire. T’es le genre de nana qui suit cinquante associations sur Facebook et qui fait un don de quelques dollars dès qu’il y a une urgence. Tu serais même capable d’être le genre de nana, à être famille d’accueil pour chien ou chat lorsque tu auras ton propre appartement. T’es aussi le genre de nana, à être bénévole pour un orphelinat en Inde. Tu les aides à trouver des fonds, c’est important pour toi d’aider des enfants qui en ont besoin. Toi qui as toujours bien vécu, qui n’a jamais manqué de rien. Tu sais la chance que tu as, c’est indéniable. Alors, tu aimes montrer que malgré que tu ne manques de rien, tu n’es pas pour autant une gamine pourrie gâtée, qui se conduit de façon insupportable.

Ce coup-ci, c’est Zero que tu vas aider. Il est gentil, perdu et plutôt mignon, tu dois l’avouer. Alors l’héberger, pour toi, c’est une mince affaire. Surtout, que tes parents sont plutôt indulgents et pas trop regardant. Ils ont confiance en toi et t’es plutôt du genre à bien communiquer avec tes parents. Zero entre dans ta chambre et ses yeux s’écarquillent. Il n’a pas l’habitude de dormir dans de tels endroits, tu t’en doutes bien. Tu sais que ce n’est pas toujours facile pour lui, tu ne supporterais pas un quart de ce qu’il vit au quotidien. Alors si tu peux le soulager un peu, ça te fais plaisir.

« Ouais, elle est plutôt gentille, elle risque de te poser une tonne de question ce soir au dîner, mais ça devrait bien se passer ! »

Tu te poses sur le bord de ton lit, tout en observant Zero scruter tout les recoins de la pièce. Il observe chaque élément se trouvant dans ta chambre. Beaucoup de souvenirs. Beaucoup d’éléments ramenés de voyage. T’es plutôt fière de la décoration de ta chambre que tu as faites seule. Que tu as peaufiné petit à petit.

« Ouais, Joshua, c’est mon beau-père. Il fait partie de la famille depuis mes deux ans, du coup, c’est comme un second papa. »

Il n’aura jamais la même valeur à tes yeux que ton père biologique, mais tu sais que tu pourras toujours compter sur lui. Qu’il sera toujours là pour toi et qu’il fera toujours tout ce qui est en son pouvoir pour te rendre heureuse.