daydream (libre)

Il est dix-sept heures. Ton père est venu te rendre visite, comme il le fait tous les mois. Vous avez passé la journée en ville, à parler de tout et de rien. Le voir te fait beaucoup de bien. tu as l'impression que c'est la seule vraie famille que tu as. Il a rencontré quelqu'un. Enfin. Tu lui as demandé de te la présenter, lorsqu'il le voudrait, ce à quoi il a répondu que ce serait avec grand plaisir. La journée est passée très vite. les yeux dans le vide, assis devant le quai de gare, cela fait bientôt quinze minutes que ton père est parti. Tu prends une grande inspiration, regardant autour de toi. Tu aimes observer les gens, t'imaginer quelle est leur histoire, où est-ce qu'ils vont. Tu te surprends à sourire tout seul. Tu contemples cet échantillon d'humanité quelques instants de plus. Tu réalises que tu es un inconnu pour eux. Certains te connaissent peut-être, en tant que Marvel. Mais qui connait Caleb ? Ton esprit continue de vagabonder. Finalement, tu te lèves. Tu ne travailles pas ce soir mais tu n'as pas envie de sortir. A chaque fois que tu vois ton père, tu passes ta soirée seul, essayant de ne pas trop penser. On t'a proposé de faire un cours spectacle dans ton club habituel mais tu as refusé. Tu n'es pas d'humeur à faire la fête. Tu commences à marcher, te dirigeant vers ta voiture pour rentrer. Tu es dans tes pensées. Tu suis ta route, machinalement, sans regarder où tu vas. Tu ferais mieux de regarder où tu marches, il suffit d'un trou, d'un lampadaire ou de quelqu'un, et tu seras vite ramené à la réalité, brusquement.

un pas à l'extérieur de cet enfer. le regard accusateur derrière des lunettes trop sales. on t'as pourtant dit que ces hommes-là, ces femmes-là ne jugeaient personne. et pourtant, ses deux grands yeux bruns te froissent jusque dans l'âme. te refroidit les pensés comme le vent qui te percute le visage.
tu caches ta nouvelle prescription dans le pan de ton pantalon avant de tâtonner ton corps entier pour trouver l'une de tes possible dépendances. poche intérieur d'un veston ramassé sur le sol de ton appartement - donc forcément froissé -. l'faux-semblant d'une personne respectable avec un habit trop cher payé.
tu écrases davantage le paquet de carton, effiloché par le vent, entre tes doigts. d'un coup de lèvres, tu attrapes une cigarette et une dernière recherche fortuite te donne accès à tes allumettes. petite tendance pyromane qui préfère une flamme toujours brûlante à celle qui se dissimule beaucoup trop vite dans les briquets.
un pas devant l'autre. et te voilà lancer dans une journée à l'agenda complètement vide. pas de fêtes. pas même de boulot. un petit coup d'oeil sur l'écran d'une seconde dépendance : le téléphone portable et un texto envoyé à plus d'une dizaine de personnes cherche à t'occuper dans les heures qui suivent. et lorsque tu redresses un visage un peu démoralisé derrière un écran de fumée nauséabond, tu aperçois les reflets d'une lumière rouge.
une lumière ignorée par une personne. et y'a ton pas qui accélère. t'es peut-être égoïste, mais il y a des trucs qui ne peuvent tout simplement pas être ignoré. et c'est beaucoup demandé à toi qui détourne trop souvent le regard. tu tends la main, la respiration qui revient lorsque le bras de l'étranger s'enfermer dans ta prise et que tu tires vers l'arrière. y'a ton corps qui se joint au sien. et ça te prend un moment avant de te dire que tout le monde a une bulle à ne pas pénétrer.
« généralement, c'est les deux yeux d'vant toi. les deux pieds sur terre. »
tu l'relâches, ce bras pour pouvoir attraper ta cigarette et jeter la fumée dans les airs et la cendre dans la terre. tu jettes un coup d'oeil sur les véhicules. sur la lumière qui semble s'éterniser et tu ramènes ton attention sur l'inconnu. t'essaies d'avoir un visage bienveillant.
« c'est un conseil comme ça. »

Et voilà. Tu n'as pas fait attention et forcément, t'es rentré dans quelqu'un. Bien joué Caleb. Un peu plus, et tu te prenais la cigarette allumée sur le bras. Tu lèves la tête dans un sursaut, n'ayant vraiment pas vu qui se trouvait devant toi. Omnibulé par tes pensées une énième fois, il faut vraiment que tu sois plus attentif. « généralement, c'est les deux yeux d'vant toi. les deux pieds sur terre. » Tu te sens bête. Tu te décides à regarder attentivement la personne que tu as accidentellement bousculée. Tu ne peux pas t'empêcher de remarquer à quel point il est séduisant. Ton cœur d'artichaut fond l'espace d'un instant, mais tu retournes à la réalité lorsqu'il te reparle. « c'est un conseil comme ça. » Tu souris. « Après, ça peut être sympa d'essayer une façon alternative de marcher. J'innove. » Tu te sens ridicule. Tu ris un peu bêtement, te reculant un peu. L'espace personnel, c'est important, surtout face à un inconnu. La fumée de sa cigarette passe entre vous, tu l’inhale malgré toi. Tu tousses. Tu n'as pas fumé depuis trois ans, t'as plus l'habitude de ce genre de choses. Tu ne sais pas trop quoi faire. Discrètement, tu le détailles. Ses cheveux, son visage, tu en viens à te demander s'il ne serait pas mannequin. Un silence gênant s'installe, tu as le choix. Soit tu t'excuses et tu rentres chez toi, soit vous vous fixez pour les dix prochaines années. « Désolée en tout cas, j'ai vraiment pas fait attention. »

tu interceptes son rire. ses réactions. son regard aux pensés égarées. le bon samaritain en toi te demandait de t'assurer qu'il se rende à bon port sans se faire écraser par quoi que ce soit. l'homme indifférent en toi et quelque peu ennuyé te disait de poursuivre ta route comme s'il ne s'était jamais rien passé. comme si le destin n'avait pas décidé de cette rencontre fortuite.
tu ne crois pas en ces bêtises. bêtises aussi étranges que le premier commentaire perçu, s'échappant des lèvres de l'individu. tu hausses les épaules en regardant autour de toi, furtivement. « après, si ton innovation t'amènes à terminer en bouilli sur le bord du pavé, je n'en tient plus rigueur. » tu plonges une main dans la chaleur de ton veston. ta mâchoire qui se crispe un instant, mouvement apparent. une habitude chez toi, pas forcément que tu es irrité ou fâché. la situation ne nécessitait pas ce genre d'émotions.
« et ce serait dommage d'être témoin d'un si triste spectacle. voir un visage aussi pur appuyé sur le béton. » tu tires une grimace, presque qu'en même temps que tu captes la réaction de l'inconnu face à la fumée de ta cigarette. conversation morbide. compliment dissimulé. c'est ton style, faut pas t'en vouloir.
d'un geste empreint de respect, tu chasses la fumée d'un mouvement de la main avant d'échapper l'arme du crime au sol que tu piétines sous ta semelle neuve. petit signe qu'il ne s'agissait peut-être pas de votre dernière minute de conversation. la lumière tourne au vert. les voitures se remettent à déambuler alors que tu avances un pas dans la même direction que l'homme avait entamée.
« besoin que je t'escorte jusqu'à un endroit sécuritaire ? j'm'assurerais que tu ne t'envoles pas vers le ciel. le regard aussi égaré. » tu tentes un sourire. après, tu n'avais rien d'une personne visiblement malhonnête. deplus qu'il faisait jour. tu espérais que la réponse se donne avant que la lumière ne pivote de nouveau à l'agressif rouge.

Contenu sponsorisé