au travers les néons (martin).

AU TRAVERS LES NEONS

elle boit pas beaucoup cléo. parce qu'elle a un corps d'oiseau, tellement minuscule qu'il s’enivre trop vite. parce que cléo, elle aime pas le goût des alcools, mais seulement l'enivrante liberté qu'ils lui procurent. et ce soir, cléo est libre. ses bras désarticulés animés autour de son corps de fée, elle ressemble à une de ces poupées de boîte à musique. une danseuse en équilibre sur le trottoir, qui se laisse porter par le preux chevalier ayant accepté de tenir sa main à la sortie du bar. un type gentil. avec des lunettes rondes et des cheveux biens coiffés. un type qui ose pas la toucher. ni même la regarder. un de ceux qui répète qu'il va lui appeler un taxi, parce qu'il flippe de la voir débarquer chez lui et de devoir se foutre à poil pour de vrai. alors il reste, debout à côté d'elle, quand elle retire ses chaussures et qu'elle remonte sa robe le long de ses cuisses déjà trop découvertes.
elle boit pas beaucoup cléo. parce que rapidement, elle oublie les autres et leurs idéaux parfois un peu sale. elle boit pas trop, parce qu'alors plus que de raison, elle oublie de se méfier des idiots et des loups.
mais ce soir, l'agneau garde sa route.
un temps du moins.
woods cross station.
les derniers bus, la gare routière, le terminus. entre ses mains à cléo, il glisse un ticket de bus, alors qu'elle lui fait promettre de ne pas la laisser seule. il acquiesce en remontant le col de son manteau. agneau apeuré par le retard à la bergerie. sa mère, sa femme ou son chat angora pourrait déjà 'attendre derrière la porte. alors il, solennel, qu'elle doit rester assise. et cléo s'assoit.
à l'arrêt de bus, animal perdue, à l'odeur mélangée entre le tabac froid et l'alcool bon marché, cléo regarde son berger s'éloigner, le ticket du bus entre les doigts. mais pas de bus. pas de bus à la nuit tombée.
pourtant, parce qu'il lui a dit d'attendre, cléo en danseuse désarticulée, attend qu'on veuille bien venir la chercher. en tailleur sur un banc trop froid, elle hésite un moment, puis finalement elle sort de la poche de sa veste un vieux téléphone portable. pas un beau. ni un récent. parce que quelque part, elle trouvais ça con, de voir ses copains qu'étaient prêt à trop de trucs pour le dernier smartphone. cléo elle elle est prête à rien. et elle laisse glisser ses doigts contre l'interface à la recherche de son numéro.
son numéro à lui, inscrit à côté d'un nombre trop important de messages laissés sans réponses. ça sonne une fois, puis deux.
puis trois.
vous êtes bien sur la messagerie de martin, laissez moi un message.
un truc comme ça.
- martin, c'est moi. enfin c'est cléo. j'attends le bus mais tu vois, je crois qu'il vient pas et je euh. ben j'attends et je me disais que peut être t'étais toujours réveillé, et que peut être t'aurais envie qu'on se. enfin qu'on se voit quoi. j'attends le bus mais je crois que je préfèrerais t'attendre toi. comme tu veux.
bip.
de toute façon, il répond jamais. c'est toujours lui qui appelle quand il veut la voir.

AU TRAVERS LES NEONS

il y a son portable qui s’entête, qui fait plusieurs soubresauts sur la commode. qui cogne comme un joli diable à son carreau alors qu’il s’essouffle dans de différents draps, à cran. coupable d’avarice pour le peu qu’il fait, pour le peu qu’il donne passé six heures. soleil qui révèle ses plus belles plumes pour se tailler. faudrait il y aller pour retracer l’itinéraire de a à b. faudrait tronçonner toute la forêt pour y voir plus clair, faire venir les obus et les rats. il va pas s’inventer d’excuses, il en a pas l’temps. il connaît déjà les superlatifs. les longues trêves qu’il oblige, qu’il dessine dans ses silences et ses sourires. l’appareil s’écrase contre sa poitrine et lui aussi il a un soubresaut martín.
- visiblement y a ta femme qui t’appelle. l’invective lui donne un frisson sans étancher pour autant sa curiosité.
- très drôle. il se lance pas dans une prose sans rime, dans de plates excuses qu’elle a trop entendues. il a pas cette audace martín. son numéro apparaît alors qu’elle fonce, nue, dans la salle de bain en fermant le loquet. cléo qu’est pas vraiment unique, cléo qui rêve d’être touché là où il faut, d’une balle en plein cœur. cléo qu’est bien. cléo qui ressemble à une ballerine qu’aurait vomi ses tripes. cléo qu’accepte pas la distance. qui cherche par tous les moyens d’attirer son attention depuis plusieurs jours. qui fait les questions puis les réponses après d’autres mots bien plus tranchants. pour digérer l’bordel. pourtant c’est qu’elle est belle dans ses messages, à attendre un bus qui ne viendra jamais comme elle attendrait peut-être ou peut-être pas d’être sauvée.

il a déjà ses chaussures aux pieds, cheveux en bordel, montre au poignet. c’est qu’il est déjà tard, c’est que les chauve-souris l’attendent dehors sous l’perron depuis une bonne demi-heure. c’est qu’il a pas une voiture de rockstar martín - ash est généreux mais pas tant que ça - et qu’il déteste conduire la nuit, défier les lampadaires tout en loupant un stop ou deux, tout ça pour cléo. tout ça pour une gamine qu’est pas capable d’enchaîner trois bières sans tituber sec dans les escaliers jusqu’aux toilettes pour vomir comme tout l’monde.
il lâche un soupir, allume le chauffage. il hésite à répondre par un simple sms, ou simplement à rappeler, à chercher son nom dans la liste. mais il ne fait rien, il continue martín, de la faire poireauté à son pauvre arrêt de bus. traîne le long de ridge end, les lieux qu’elle apprécie cléo - parce que même s’il s’en fout, la plupart du temps, il a une bonne mémoire des endroits et des couleurs.
puis il vient s’échouer, à woods cross station - dans l’fond c’était l’plus logique. et elle est là cléo, assise, sous la lumière d’un halogène vacillant basse consommation. il approche en voiture pour s’arrêter à son niveau, ouvre la fenêtre sans s’enquérir de son taux d’alcoolémie.
- j’savais pas que tu faisais encore le tapin à cette heure-ci.
- vas-y monte.

AU TRAVERS LES NEONS

des voitures. Peu. Des voitures aux phares encore lumineux, se délectant de l'heure matinale et du peu d'âmes éveillées pour faire crisser leurs pneus sur le bitume froid. Les uns et puis les autres, qui passe devant cléo dont la tête s’alourdit à mesure que le temps lui fosse compagnie. Elle déteste ce banc. Puis elle déteste cet affichage lumineux qui reste éteint, et qui s'obstine à ne pas dire quand passera le premier bus qui la délivrera des griffes du matin. Parce qu'il viendra pas. Et cléo qui s’obstine à attendre, sur que quelque part, il est bien plus que différent des autres. Une voiture passe à sa hauteur, ralentit puis finalement retard en trombe.
Elle fait jamais vraiment les choses comme il faudrait cléo. Elle s'abandonne à des risques inconsidérés, et se laisse happer par les mauvais. Elle se méfie pas, puis elle se pète les genoux sur les graviers parce qu'elle a fermé les yeux dans la descente. Pauvre enfant. Drôle de choses aux allures de fleur colorée.
Appeler bambi ?
Bambi il vient quand elle appelle. Puis bambi, il débarque aussi quand elle appelle pas.
Mais pas ce soir.
Ni ce matin.
- j’savais pas que tu faisais encore le tapin à cette heure-ci.
- vas-y monte.
Elle l'avait pas vu, ni entendu. S'approcher puis s'arrêter. Parce qu'elle était convaincu qu'ils viendraient pas, lui et sa vieille voiture de prince cabossé. Martin et son humour incisif. Il pique, mais pas assez pour qu'elle recule cléo. Allez savoir pourquoi, elle s’obstine à ne pas prendre la fuite quand il s'approche.
- bien sûr que si, à cette heure là je fais même des promos sur les pipes.
Elle dit et elle grimpe côté passager. cléo vaseuse, dont le corps de danseuse vient se glisser sur le siège à côté du sien, et dont les doigts viennent refermer derrière elle la portière qui la tient captive de l'habitacle motorisé. Il fait chaud, bien plus qu'au dehors. Elle a la tête lourde cléo, mais elle s’efforce de se tenir suffisamment droite pour pas ressembler à ces princesses ivres qu'on abandonne sur les trottoirs.
- je pensais pas que tu viendrais.
Mais dans sa poitrine et quelque part dans son ventre, elle est contente de le voir lui. Lui et se tronche de chien sauvage. Lui qui parle mal parfois, et qui l'envoie balader souvent. Lui et son regard qui lui fout le coeur en vrac à cléo. Alors dans l'habitacle de la voiture, elle se redresse, glisse jusqu'à lui et embrasse sa joue. Parce que cléo, c'est qu'une gamine et lui homme pour de vrai.
- merci.

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